Merci à Ekaterina Samolygo d'avoir traduit cet article volontairement.

La pénurie d'eau est l'une des plus grandes menaces auxquelles l'humanité est confrontée à notre époque - en 2019, plus de deux milliards de personnes subissent un stress hydrique élevé (UN-Water 2019) et environ quatre milliards de personnes souffrent d'une grave pénurie d'eau pendant au moins un mois par an (Mekonnen et Hoekstra, 2016). Cette aggravation du problème augmente le risque d'éclatement d'un conflit international autour des ressources en eau. En effet, il existe plus de 270 bassins fluviaux transfrontaliers et trois quarts des États membres de l'ONU partagent au moins un bassin fluvial ou lacustre avec un voisin (UN News,2017). Ces ressources en eau partagées au niveau international constituent la principale source d'eau fraîche pour environ 40 % de la population mondiale (UN News,2017). Ceci témoigne encore l'importance de la coopération dans le domaine de l'eau à l'échelle mondiale.

L'aggravation de la pénurie d'eau favorisée par le changement climatique (Groupe d'experts intergouvernemental sur le changement climatique, 2008), ainsi que la reconnaissance croissante de la menace qu'elle représente pour la paix mondiale et la sécurité humaine, ont donné naissance à « l’hydro-diplomatie » (ou « diplomatie de l'eau ») (Schmeier, 2018). Cette branche importante des relations internationales peut être définie comme l'utilisation d'instruments diplomatiques pour faire des sources d'eau partagées un domaine de paix et de coopération plutôt que de conflit.

En 2017, le Secrétaire Général de l'ONU, António Guterres, a souligné l'importance de l'hydro-diplomatie dans un discours au Conseil de sécurité de l'ONU. En effet, il a déclaré que « l'eau, la paix et la sécurité sont inextricablement liées » et que « l'eau est et doit rester une raison de coopération et non de conflit » (UN News,2017). En outre, l'ONU a officiellement souligné la nécessité d'une coopération internationale en matière de gestion de l'eau dans l'objectif de développement durable 6 de l'ONU intitulé « Eau propre et Assainissement », dont l'une des cibles implique la mise en œuvre d'une « gestion intégrée des ressources en eau à tous les niveaux, y compris par la coopération transfrontalière, selon qu'il conviendra » d'ici 2030 (Nations Unies, 2019).

La réalisation des relations hydro-diplomatiques coopératives dépend de l'accès à des informations précises, opportunes et fiables sur les ressources en eau (Agence spatiale européenne (ESA),2019b). Les données d'observation de la Terre provenant des satellites ont considérablement amélioré notre capacité à mesurer et à surveiller les changements dans les rivières, les lacs et les réservoirs. Elles nous permettent de voir plus clairement les effets du changement climatique qui intensifient nos défis en matière de pénurie d'eau (ESA, 2019a). Les données de télédétection sont particulièrement nécessaires pour la gestion de l'eau dans les régions qui ne disposent pas d'infrastructures terrestres bien développées pour mesurer les changements dans les masses d'eau.

Les données dérivées de l'espace jouent un rôle crucial dans la diplomatie de l'eau en fournissant des informations objectives et non biaisées à partir desquelles il est possible d'obtenir des connaissances sur les ressources en eau. Elles constituent la base d'une prise de décision éclairée en matière de gestion de l'eau et sont donc importantes dans le cas de la gestion de ressources en eau situées au-delà des frontières nationales. La gestion des eaux transfrontalières peut être réalisée de manière beaucoup plus efficace et efficiente lorsque les États riverains échangent des données entre eux. En effet, chaque Etat a ses capacités de collecte et d’analyse des données, permettant ainsi l’obtention d’une image plus globale (Lawford et al., 2013). 

En outre, les informations acquises grâce aux technologies spatiales sous-tendent de nombreux projets coopératifs relatifs à l'eau transfrontalière - comme le barrage d'Itaipu du Brésil et du Paraguay - qui peuvent jouer un rôle important dans l'avancement des relations hydro-diplomatiques. Le fait d'accepter de construire et d'exploiter conjointement le barrage d'Itaipu, situé sur le fleuve Paraná qui borde le Brésil et le Paraguay, a aidé les deux pays à résoudre un différent frontalier (Blanc,2017). Itaipu est aujourd'hui le plus grand générateur d'énergie renouvelable au monde, et sa production est partagée par les deux pays (Itaipu Binacional, 2019b). Les 40 stations qui composent le système de télémétrie hydrométéorologique d'Itaipu lisent les données des capteurs et les relaient à la centrale en partie via des satellites, ce qui signifie que les technologies spatiales facilitent son fonctionnement (Itaipu Binacional, 2019a). En outre, les données des images satellites fournissent des informations importantes pour les processus de prévision, de surveillance et de contrôle de la production d'énergie hydrique de la centrale (Itaipu Binacional, 2019a).

Bien que les ressources en eau partagées au niveau international constituent sans aucun doute une menace importante pour la paix mondiale, elles offrent également des possibilités de faire progresser les relations entre États voisins. Les accords sur le partage des ressources en eau transfrontalières peuvent s'avérer très résistants et rapprocher les États, même lorsqu'ils sont en désaccord sur d'autres questions. Par exemple, le Comité du Mékong (aujourd'hui connu sous le nom de Commission du Mékong) a survécu à la guerre du Vietnam, les données continuant à être échangées entre les États membres du Comité, même s'ils étaient légalement en guerre les uns contre les autres (Wolf, 1998).

Un autre accord de partage de l'eau résiliente est le Traité des eaux de l'Indus, que l'Inde et le Pakistan ont ratifié en 1960 pour gérer la distribution de l'eau du système de rivières de l'Indus dont les deux pays dépendent. Le traité est souvent considéré comme l'un des exemples les plus réussis d'accords de partage des eaux transfrontalières, son mécanisme de résolution des différents ayant facilité le règlement de désaccords tels que celui concernant la construction du barrage de Salal en 1978 (Akhtar 2010). Le cadre du traité offre une opportunité prometteuse de coopération pour le partage des données sur l'eau entre les parties ainsi que des propositions de projets de développement sur les rivières du bassin de l'Indus (Akhtar 2010). Le Traité des eaux de l'Indus a survécu à trois guerres entre les deux pays et a joué un rôle essentiel dans l'amélioration de la sécurité de l'eau en Inde et au Pakistan, le partage des informations en constituant un aspect central (The World Bank, 2018).

Reconnaissant l'importance des applications des données spatiales pour la gestion de l'eau, le Bureau des affaires spatiales des Nations Unies joue un rôle actif en aidant les praticiens des pays en développement à accéder aux technologies géospatiales et aux données de télédétection et à les utiliser pour gérer plus efficacement leurs ressources en eau. Parmi les activités du Bureau qui favorisent le renforcement des capacités et l'échange de connaissances figurent le projet "Espace pour l'eau" et le programme "Informations spatiales pour la gestion des catastrophes et les interventions d'urgence" (UN-SPIDER), ainsi que leurs portails Internet respectifs. Afin d'aider les États membres à tirer pleinement parti des informations spatiales, UN-SPIDER organise des missions de conseil technique et des programmes de formation dans les pays en développement.

L'amélioration de la capacité des États du monde entier à accéder aux données spatiales et à les appliquer à la gestion de l'eau nous mettra sur la voie du renforcement de la sécurité de l'eau et de l'atténuation des menaces posées par la pénurie d'eau. De par leur nature même, les sources d'eau transfrontalières - dont dépendent tant de communautés dans le monde - nécessitent une coopération hydro-diplomatique bilatérale ou multilatérale pour être gérées. Grâce aux données précises et opportunes fournies par les technologies spatiales, les États qui partagent des rivières ou des bassins transfrontaliers seront mieux équipés pour mettre en œuvre l'hydro-diplomatie et utiliser leur ressource en eau partagée comme un outil de coopération plutôt que de conflit.