Merci à Martin Sarret d'avoir traduit cet article volontairement.

En 2019, les inondations ont causé 43,5% de l´ensemble des décès liés aux catastrophes naturelles et sont donc la principale cause de décès liés à ce genre de sinistre. De plus, le nombre d´accidents est en augmentation par rapport aux années précédentes (CRED, 2019). L´impact humain des inondations est typiquement plus grand que celui des autres types de catastrophes car elles perturbent également l´activité humaine et l'économie (CRED, 2019 ; Elagib et al. 2019). 

L'observation de la Terre joue un rôle clé dans la surveillance des inondations. C'est notamment le cas parce que l'imagerie satellitaire mise à disposition, combinée à l'analyse géospatiale, est un atout majeur de la gestion gouvernementale des risques pendant et après l'analyse des inondations. En cas de catastrophes majeures, l’accès à ces informations satellitaires est assuré par la Charte internationale Espace et Catastrophes majeures (ci-après la Charte internationale). La Charte internationale constitue les fondations d´une coopération à l´échelle mondiale entre les agences spatiales et les opérateurs de satellites, qui engage les signataires à mobiliser et fournir au plus vite les données satellitaires nécessaires à la gestion des catastrophes. Elle peut être activée par les utilisateurs enregistrés (généralement les autorités compétentes) pour soutenir les interventions d'urgence en cas d´avaries. Pour en savoir plus sur les membres et les partenaires de la Charte, cliquez ici. 

Le 13 août 2020, la Charte internationale a été activée par le ministère de l'Agriculture et des Ressources naturelles du Soudan en raison de violentes inondations causées en partie par des pluies torrentielles dans les hauts plateaux d´Ethiopie. Sur les dix-huit États du Soudan, dix-sept ont enregistré des inondations selon le rapport de situation du Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies publié le 14 septembre (UN OCHA, 2020a). Nommée par le Centre aérospatial allemand (DLR), qui est membre de la Charte internationale, l'Université de la Ruhr à Bochum (RUB) a pris en charge la gestion du processus d'activation en collaboration avec le Centre de télédétection des surfaces terrestres (ZFL) de l'Université de Bonn et l'Université autonome de l'État du Mexique (UAEM), qui ont amélioré le système de gouvernance en place. Immédiatement après son activation, les images mobilisées ont pu être traitées pour identifier les personnes et les régions touchées et, dans le cadre d'un échange continu avec le ministère, ont soutenu les mesures gouvernementales de mitigation de la catastrophe. 

Avec l'État du Nord-Darfour, l'État de Khartoum figurait parmi les États les plus touchés par les inondations. L'État de Khartoum est vulnérable aux inondations en raison de sa situation entre deux fleuves, le Nil bleu et le Nil blanc. L'agriculture urbaine s'est développée dans la ville, entraînant également une augmentation de l'utilisation de l'eau (Schumacher et al. 2009). 

La surveillance des inondations par télédétection

Deux types de capteurs différents sont utilisés en télédétection : les capteurs optiques (passifs) et les capteurs radar (actifs). Les capteurs optiques dépendent de la lumière du soleil et délivrent des 
informations sur la réflexion et l'absorption de celle-ci grâce aux signatures spectrales, alors que les capteurs radar eux n´en dépendent pas. Ils émettent leur propre signal et enregistrent ce qu'on appelle la rétrodiffusion. Le signal de rétrodiffusion peut fournir des informations sur la structure et la rugosité de la surface. Lors de fortes précipitations, souvent liées à des inondations, la couverture nuageuse est importante, ce qui constitue un défi pour les capteurs de télédétection optique. Dans ces cas, l'utilisation de données radar est préférable, car le signal radar pénètre les nuages et peut fournir des informations quelles que soient les conditions météorologiques. 

Dans le cadre de ces inondations au Soudan, ainsi que d'autres catastrophes naturelles, une réponse rapide est nécessaire pour que les autorités locales puissent évaluer la situation. Les données optiques et radar ont permis d´identifier les zones inondées au Soudan. 

En raison de l'augmentation de la couverture nuageuse pendant les inondations, le filtrage des nuages a été le premier défi à relever pour exploiter les données optiques. Pour certains capteurs, tels que pour la mission Sentinel-2, ayant une résolution de 10 m, un masque de nuages, autrement dit un pré- traitement de données pour masquer les nuages, était suffisamment précis pour une grande partie des cas étudiés. Les données à très haute résolution, comme l'imagerie produite par les Pléiades avec une résolution de 0,5 m, nécessitent quant à elles une approche différente pour obtenir des résultats satisfaisants. Dans certaines configurations, notamment en cas de brume, les masques de nuages utilisés n'étaient pas suffisamment précis pour un traitement a posteriori. 

Deux méthodes se sont avérées fiables et suffisamment rapides pour identifier les nuages dans le cas du Soudan : dans un premier temps, une approche par seuil incluant un seuil de réflectance très élevé sélectionné grâce à une série de tests et des vérifications visuelles. Les nuages ont une réflectance très élevée dans la plupart des bandes optiques. Cette méthode était d´autant plus efficace pour des nuages plus volumineux dans un périmètre d´étude délimitée. Dans un deuxième temps, les ombres des nuages ont été masquées grâce à la géométrie du masque de nuage. Le masque de nuage a été dupliqué et déplacé en fonction de l'angle de la lumière du soleil pour couvrir les ombres et les disparaitre. Dans un deuxième temps, les nuages et les ombres ont été tracés manuellement. Cette méthode était une bonne solution pour les scènes plus petites avec peu de nuages ou de la brume (Schéma 1). 

Figure 1: Complex cloud conditions which can only be used if masked by manual tracing. Pleiades Image provided by CNES via the International Charter, scene taken on August 15th, 2020. Source: Pleiades@CNES 2020.
Schéma 1 : Conditions nuageuses complexes qui ne peuvent être utilisées que si elles sont masquées par un traçage manuel. Image des Pléiades fournie par le CNES via la Charte internationale, scène prise le 15 août 2020. Source : Pléiades@CNES 2020.

 

Le masquage des nuages a permis d´identifier les zones d'eau de surface. Là encore, deux approches différentes peuvent porter leurs fruits. Par exemple, un seuil basé sur des indices hydrologiques, tels que l'indice de teneur en eau par différence normalisée (NDWI) a d´abord été utilisé (Gao, 1996). Avec des données à très haute résolution, ces indices n'ont pas donné de résultats fiables, surtout dans des conditions brumeuses. Pour remédier à ce problème, une classification encadrée a été réalisée afin de distinguer les zones d'eau des zones sans eau. L'approche de la classification a permis d'obtenir des produits visuellement très précis par rapport aux images composites en vraies couleurs (Schéma 2).

Figure 2: Example for classification result using the NDWI based on Sentinel 2 provided by ESA via the International Charter. Scene taken on August 17th, 2020.
Schéma 2 : Exemple de résultat de classification utilisant le NDWI basé sur la mission Sentinel 2 fourni par l'ESA via la Charte internationale. Scène prise le 17 août 2020. 

 

Par ailleurs, deux approches s´appuyant sur les données radar pour identifier l'eau ont rempli les mêmes objectifs. En utilisant les données radar, il n'est pas nécessaire de masquer les nuages. Si une scène prise avant l'inondation était disponible, elle a fait l´objet d´une analyse de détection des changements. En l´absence de ces images, un seuil a été appliqué à la rétrodiffusion VH. Les terrains
abruptes peuvent engendrer des faux positifs lors de l'application de ce filtre. Ces faux positifs doivent être filtrés (manuellement) dans une étape de post-traitement, ce qui n'était pas nécessaire pour les zones d'intérêt au Soudan.
 

Du suivi des catastrophes à la gestion des catastrophes

Selon le Humanitarian Aid Control (HAC) au Soudan, près de 830 000 personnes ont été touchées par ces inondations, et ce jusqu'au 24 septembre 2020. Les États les plus sévèrement atteints sont Khartoum, le Darfour Nord, le Nil Bleu, le Darfour Ouest et Sennar (UN OCHA, 2020b).

La surveillance à haute résolution permet d'identifier les zones à risque avec un niveau de détail élevé pour les zones plus restreintes. De plus, les informations sur les personnes et les terres cultivées touchées jouent un rôle déterminant à plus grande échelle. Pour cette raison, une analyse géospatiale s´est focalisée sur les zones d'inondation identifiées (voir également le schéma 3).

Figure 3: Flooded Area in affected region with Sentinel-1B Images between 27 July and 18 August, 2020. Raw imagery provided by ESA via the International Charter. Map produced by RUB, ZFL and UAEM. Available at: https://disasterscharter.org/image/journal/article.jpg?img_id=7032887&t=1598600800100.
Figure 3 : Zone inondée dans une région affectée (Images de la mission Sentinel-1B entre le 27 juillet et le 18 août 2020). Imagerie non traitée fournie par l'ESA via la Charte internationale. Carte produite par    la    RUB,    le    ZFL    et    l´UAEM.    Disponible    sur    : https://disasterscharter.org/image/journal/article.jpg?img_id=7032887&t=1598600800100.

 

L´identification des zones inondées a permis de secourir la population affectée. Les zones inondées ont été converties en polygone. Les données de population rastérisées (converties en pixel), telles que WorldPop (Tatem, 2017), ont ensuite été masquées à l'aide du polygone d´étendue d'inondation. Enfin, les statistiques zonales, plus précisément l´ensemble des personnes affectées par zone, ont été calculées à l'aide de shapefiles mettant en évidence la segmentation administrative et la couche raster de la population affectée. La combinaison de la détection des inondations par télédétection avec les informations sur les lieux de vie des personnes et les lieux où les terres sont habituellement cultivées permet d'identifier les zones affectées par la catastrophe (Schéma 4).

Figure 4: Estimated Number of People and area directly affected by the flood. Map was produced by RUB and ZFL based on previous analysis by NOAA based on VIIRS data
Schéma 4 : Estimation du nombre de personnes et de la zone directement affectée par l'inondation. La carte a été créée par la RUB et le ZFL sur la base d'une analyse précédente de NOAA avec des données VIIRS.

 

Les informations géospatiales aident l´identification des zones touchées, ce qui facilite la gestion des catastrophes en permettant de mieux orienter les services de secours humanitaire.

Bien que les inondations aient diminué environ trois semaines après la première activation de la Charte internationale, les dégâts des inondations se font encore bien fait sentir. Une conséquence majeure est la pollution des infrastructures d´assainissement de l´eau qui entraîne une diminution de l'eau potable disponible avec notamment des répercussions sur la santé de la population locale. La pollution engendrée par les inondations affecte également les agriculteurs dont les champs ont été détruits, ce qui a des conséquences désastreuses sur le rendement attendu à la fin de la saison, à moins que le ministère ne fournisse des variétés ayant un cycle de maturité court pour les principales cultures telles que le sorgho et le millet, afin de les replanter sur les terres cultivées. Les petits agriculteurs dépendant de leurs récoltes sont donc particulièrement touchés.

La télédétection et l'analyse géospatiale ne permettent pas seulement de soutenir les interventions d'urgence, mais contribuent également à une gestion adaptée des risques en termes de prévention. Il est en effet très utile d'identifier les zones les plus exposées au risque d´inondation en raison de leur faible élévation et de leur proximité avec les cours d'eau, avant même qu'une catastrophe ne se produise, afin de pouvoir agir plus tôt lorsque des taux de précipitations élevés sont attendus. Ces résultats peuvent également servir de support à une stratégie d´aménagement plus approfondie et
éviter l'installation de la population dans ces zones à risque, ainsi qu´assurer la protection du bétail et des activités agricoles.

Pour assurer le succès des politiques de prévention et de gestion des catastrophes, les autorités gouvernementales compétentes et la communauté scientifique se doivent d´échanger et de coopérer en continu. Il va sans dire que la compréhension locale et la connaissance spatiale de la zone affectée sont essentielles pour mieux faciliter la localisation des zones prioritaires et pour l'interprétation des cartes produites afin d'améliorer les produits finaux.

Tous les produits finaux issus de l'activation de la Charte peuvent être trouvés ici.

 

 

Sources

CRED. Natural Disasters 2019. Brussels: CRED; 2020. This document is available at: https://emdat.be/ sites/default/files/adsr_2019.pdf

Elagib, N.A., Gayoum Saad, S.A., Basheer, M. et al. Exploring the urban water-energy-food nexus under environmental hazards within the Nile. Stoch Environ Res Risk Assess (2019). https://doi.org/10.1007/s00477-019-01706-x

Gao, Bo Cai. 1996. “NDWI - A Normalized Difference Water Index for Remote Sensing of Vegetation Liquid Water from Space.” In Remote Sensing of Environment, edited by Michael R. Descour, Jonathan M. Mooney, David L. Perry, and Luanna R. Illing, 58:257–66. International Society for Optics and Photonics. https://doi.org/10.1016/S0034-4257(96)00067-3.

Schumacher J, Luedeling E, Gebauer J et al (2009) Spatial expansion and water requirements of urban agriculture in Khartoum, Sudan. Journal of Arid Environments 73:399–406. https://doi.org/10.1016/j.jaridenv.

Tatem, A. J. (2017). WorldPop, open data for spatial demography. Scientific data, 4(1), 1-4.

UN OCHA (2020a). Sudan. Floods Situation Report.14 September 2020. Available at: https://reliefweb.int/sites/reliefweb.int/files/resources/SUDAN%20Flood… (last access: 29.09.2020)

UN OCHA (2020b). Sudan Situation Report. Last Update 27.09.2020 Available via: https://reports.unocha.org/en/country/sudan (last access: 28.09.2020)