Merci à Mussa Kachunga Stanis d'avoir traduit cet article volontairement.

Pendant des années, la NASA s'est engagée à trouver les moyens les plus efficaces et les plus efficients de fournir de l'eau recyclée filtrée et purifiée à ses astronautes à bord de la Station Spatiale Internationale (ISS) (voir la figure 1). Avec plus de deux milliards de personnes dans le monde qui n'ont pas accès à l'eau potable et à des installations sanitaires de base, cette nouvelle technologie unique de traitement de l'eau utilisée par l'ISS pour filtrer l'urine des astronautes en eau potable pourrait bien avoir la capacité d'aider à lutter contre la crise mondiale de l'eau ici sur Terre.

L'eau est assez lourde, ce qui signifie que chaque litre d'eau lancée dans l'espace peut coûter jusqu'à des milliers de dollars (DiCicco, 2020). Pour cette raison, rien n'est gaspillé sur l’ISS - chaque goutte de sueur, d'urine, d'humidité et de buée issue de la respiration est collectée, filtrée, purifiée et réutilisée comme eau potable (NASA, 2019). Le système de filtration de l'eau actuellement utilisé par la NASA repose sur des «lits de filtration qui alourdissent les missions de réapprovisionnement et doivent être remplacés tous les 90 jours» et est également incapable de filtrer certains contaminants semi-volatils (NASA, 2019). Une technologie de récupération d'eau nouvellement développée a non seulement la capacité de filtrer ces contaminants semi-volatils spécifiques sur l'ISS, mais nécessite également beaucoup moins d'espace et d'énergie pour fonctionner (DiCicco, 2020). 

Quelle est cette technologie ?


Avec la mise en œuvre réussie d'un nouveau système qui imite le processus naturel de filtration de l'eau à travers des protéines appelées aquaporines, cette technologie spatiale pourrait avoir la capacité d'ajouter de « l'efficacité aux installations de traitement des eaux usées existantes ou de purifier les eaux qui jusqu'à présent n'ont pas été traitées, polluant les eaux souterraines et les voies navigables » (DiCicco, 2020). Les aquaporines sont des protéines utilisées par toutes les cellules vivantes pour transférer l'eau à travers leurs membranes. En utilisant des protéines produites par un processus de fermentation industrielle, ce système de purification est capable d'imiter la capacité de filtration des reins humains et des racines des plantes (NASA, 2019). En fait, ce sont les aquaporines qui permettent « aux racines des plantes d'absorber l'eau du sol et aux reins humains de filtrer environ 45 gallons de liquide par jour » (NASA, 2019). En raison du fait que ces protéines ont évolué pendant des milliards d'années pour effectuer certaines tâches et qu'elles sont hautement sélectives, seule l'eau peut passer à travers, contrairement aux contaminants (NASA, 2019). Grâce à cette protéine, les entreprises de filtration d'eau ont pu développer un système qui élimine plus de 95 % des microplastiques et des micropolluants dans les eau usées, tout en utilisant beaucoup moins d'énergie que les autres systèmes de filtration traditionnels (Moreno, 2020). 

Astronaut Andreas Mogensen testing prototype aquaporin water treatment system on the International Space Station. Image courtesy of the European Space Agency and NASA.
Figure 1 : L'astronaute Andreas Mogensen teste un prototype de système de traitement de l'eau à l'aqua porine sur la Station spatiale internationale. Image reproduite avec l'aimable autorisation de l'Agence spatiale européenne et de la NASA.

 

Comment ça fonctionne

Les aquaporines filtrent l'eau en déplaçant sélectivement les molécules d'eau à travers les membranes plasmiques à une vitesse rapide. Ces protéines transmembranaires du canal de l'eau fonctionnent comme des nano-filtres pour empêcher tous les autres solutés de se transporter à travers les membranes plasmiques dans les cellules vivantes (Xie et al., 2013). Les membranes d'aquaporines peuvent être produites à travers la membrane plasmique apicale, qui est la membrane cellulaire à la surface des cellules épithéliales (membrane plasmique apicale, 2021). Cela fait suite à l'action de la vasopressine, qui est responsable de l'activation de la protéine kinase A (PKA), une holoenzyme, pour phosphoryler les sous-unités d'aquaporines contenues dans le cytoplasme (Litwack, 2020). Des canaux d'aquaporines se forment alors lorsque ces sous-unités sont insérées dans la membrane apicale (Litwack, 2020).

Grâce à l'utilisation d'aqua porines, cette technologie de récupération et de filtration de l'eau utilise l'osmose directe pour filtrer des contaminants semi-volatils spécifiques sur l'ISS et dépasse les performances des systèmes actuels de purification et de filtration de l'eau à bord (Johnson, 2019). Il fonctionne également à une fraction du coût, car les technologies basées sur l'osmose directe "offrent également un moyen de filtration beaucoup plus économe en ressources par rapport aux techniques d'osmose inverse les plus courantes" (Johnson, 2019). L'osmose directe est un processus capable de fonctionner de manière autonome sans aucune influence extérieure ; un peu comme un rein, l'eau est recyclée en circuit fermé (DiCicco, 2020). Avec « l'eau salée d'un côté de la membrane et l’eau usées de l'autre, la thermodynamique oblige le sel à se répartir uniformément dans toute l'eau du système » ; et comme le sel ne peut pas traverser la membrane, l'eau douce est puisée de l'autre côté (DiCicco, 2020). Au fur et à mesure que l'eau douce est extraite, il ne reste que des déchets (DiCicco, 2020). Cela signifie que l'osmose directe est capable de filtrer l'eau extrêmement sale et polluée, ce qui élimine le recours à la distillation (NASA, 2019). L'efficacité de la technologie des aquaporines peut offrir une méthode de filtration et de recyclage de l'eau plus économe en ressources, non seulement dans l'espace, mais aussi ici sur Terre (Johnson, 2019).

Avantages de la technologie des aquaporines

Aujourd'hui, environ vingt-cinq pour cent de la population mondiale n'a pas accès aux services d'assainissement et d'eau de base, ce qui signifie que plus de deux milliards de personnes sur Terre n'ont pas accès à l’eau potable (CDC, 2021). En conséquence, des millions de personnes, en particulier celles qui vivent dans les pays en voie de développement, continuent de souffrir de maladies évitables liées à l'assainissement, notamment la diarrhée, le choléra et la fièvre typhoïde ; qui, sans soins adéquats, peuvent finalement entraîner la mort (CDC, 2021). En fait, l'eau potable insalubre a contribué à environ 72 % des décès par diarrhée, et l'assainissement insalubre a contribué à environ 56 % des décès par diarrhée (CDC, 2021). De plus, selon les Centre de Contrôle Epidémiologiques et de Prévention, « l'eau, l'assainissement et l'hygiène ont le potentiel de prévenir au moins 9 % de la charge mondiale de morbidité et 6 % des décès dans le monde » (CDC, 2021). 700 millions de personnes se déplaceront dû à la rareté de l’eau d'ici 2030, selon le Département des affaires économiques et sociales des Nations Unies (Nations Unies, 2021). 

Figure 2: Global access to clean water, sanitation, and hygiene has the potential to “reduce illness and death from disease, leading to improved health, poverty reduction, and socio-economic development” (CDC, 2020). Image courtesy of the Centers for Disease Control and Prevention
Figure 2 : L'accès mondial à l'eau potable, à l'assainissement et à l'hygiène a le potentiel de « réduire les maladies et les décès dus à la maladie, conduisant à une amélioration de la santé, à la réduction de la pauvreté et au développement socio-économique » (CDC, 2020). Image reproduite avec l'aimable autorisation des Centers for Disease Control and Prevention.

 

Aujourd'hui, les processus industriels ont tendance à générer de grandes quantités d'eaux usées hautement concentrées qu'ils ne traitent pas actuellement, ce qui entraîne une pollution répandue (DiCicco, 2020). Certains gouvernements appliquent des exigences de « zéro rejet liquide », ce qui signifie que « essentiellement, aucun déchet liquide ne doit quitter les locaux d'une unité industrielle » (Perry et al. 2015). À la suite de ces changements, il existe une demande accrue pour un système de traitement de l'eau efficace qui ne laisse pratiquement aucun déchet derrière lui. Plusieurs méthodes différentes de production d'aquaporines sont développées et testées pour une utilisation à grande échelle et présentent un potentiel pour aider.

Selon les Nations Unies, « le monde connaîtra un déficit d'approvisionnement en eau de 40 % d'ici 2030 », et la demande mondiale en « eau bleue » augmentera de 55 % entre 2000 et 2050 (Perry et al. 2015). Ceci est fortement associé au fait que la population mondiale devrait atteindre 9,1 milliards d'ici 2050, combiné à l'idée que davantage de personnes entrent dans une classe moyenne plus riche où la "production d'aliments à forte consommation d'eau et d'autres produits nutritionnels augmentent" (Perry et al. 2015). 

Les nouvelles technologies améliorées de traitement de l'eau utilisant des aquaporines ont le potentiel d'aider à gérer ces demandes croissantes en eau, en énergie et en nourriture. En raison de l'efficacité de la protéine, les systèmes de traitement de l'eau utilisant des aquaporines sont capables de filtrer l'eau deux fois plus vite que les autres systèmes de traitement de l'eau existants, et presque de doubler le taux de récupération de l'eau. Un taux de récupération d'eau plus élevé est crucial, car les endroits qui ont besoin de purification de l'eau sont également des lieux qui ont tendance à subir les contraintes les plus élevées sur l'approvisionnement en eau (NASA, 2019). 

Peter Holme Jensen, fondateur d'une entreprise spécialisée dans la technologie des aqua porines, précise qu'à travers les systèmes traditionnels, "ce ne sont pas des millions, ce sont des milliards de litres d'eau qui sont gaspillés au quotidien" (NASA, 2019). En fait, dans la plupart des systèmes de traitement de l'eau existants, plus de 70 % de l'eau est perdue par le simple fait de nettoyer les contaminants à l'arrière de la membrane (NASA, 2019). Dans le dessalement, le coût de l'énergie, qui représente généralement 20 à 30 % du coût total de l'eau utilisée, est le facteur le plus important du coût de la filtration de l'eau (Perry et al, 2015). Par rapport aux technologies existantes, non seulement la technologie des aquaporines nécessite moins d'énergie pour fonctionner, mais elle nécessite également moins d'entretien et d'espace (DiCicco, 2020). Cette nouvelle technologie de traitement de l'eau a le potentiel « d'assurer la disponibilité et la gestion durable de l'eau et de l'assainissement pour tous », ce qui s’inscrit dans l'objectif de développement durable 6 (ODD 6). 

Défis et limites

Le plus grand défi associé à cette technologie est le fait que les membranes capables d'héberger des protéines transmembranaires « doivent être capables de s'adapter de manière hydrophobe aux protéines » (Perry et al, 2015). De ce fait, « la membrane hôte doit être de l'ordre de quelques nanomètres d'épaisseur, ce qui nécessite là encore l'utilisation de matériaux de support intégrés » (Perry et al, 2015). Cette exigence de conception doit également être prise en compte parallèlement aux exigences opérationnelles des applications membranaires, notamment la demande d'une sélectivité élevée, d'une perméabilité élevée, d'une stabilité mécanique suffisante, d'une stabilité chimique et d'une facilité de mise à l'échelle (Perry et al, 2015). 

Applications futures

À l'avenir, la technologie de l'aqua porine basée sur l'osmose directe pourra être utilisée industriellement pour traiter « l’eau usées dans les industries du pétrole et du gaz, de l'alimentation et des boissons, de l'élevage laitier et du textile, entre autres entreprises qui génèrent de grandes quantités d'eaux usées hautement polluées » (NASA, 2019). En élevage, la grande sélectivité des aquaporines permet de capter l'urée des engrais et/ou d’eau usées (NASA, 2019). De plus, dans le secteur de la santé, cette technologie a le potentiel d'améliorer la qualité de vie des patients dialysés en rendant la dialyse portable (DiCicco, 2020). Actuellement, ces patients doivent souvent passer des heures à faire des aller-retour plusieurs fois par semaine après le traitement, où ils doivent ensuite passer trois ou quatre heures alités (DiCicco, 2020). Cela est dû au fait que l'hémodialyse nécessite environ 200 litres d'eau par traitement, qui se transforment tous en eaux usées au cours du processus (DiCicco, 2020). Il est possible qu'en mettant en œuvre la technologie des aquaporines par osmose directe, ces eaux usées puissent être filtrées et réutilisées tout au long du traitement, et « la dialyse pourrait tenir dans un sac à dos » (DiCicco, 2020). La technologie de l'aqua porine peut également être utilisée pour aider à développer des vaccins, car la protéine peut également être utilisée pour collecter des particules virales (NASA, 2019). De plus, cette technologie peut également être utilisée dans l'industrie pharmaceutique car les aqua porines sont capables de piéger des principes actifs que d'autres systèmes ne parviennent pas à capturer (NASA, 2019). 

Conclusion

À mesure que les demandes de traitement de l'eau et la pollution/les déchets de l'eau augmentent, il est important de considérer l’eau usée et l'eau polluée non pas comme des ressources perdues, mais comme une opportunité de récupération des ressources (Perry et al, 2015). Alors que la demande mondiale en eau augmente, cette nouvelle technologie de traitement de l'eau devient de plus en plus essentielle de jour en jour, en particulier dans les endroits reculés où l'eau potable n'est pas facilement accessible (voir Figure 3). 

Projected global water stress levels in 2040. Image courtesy of Encyclopædia Britannica.
Figure 3 : Projection des niveaux de stress hydrique mondial en 2040. Image reproduite avec l'aimable autorisation de l’Encyclopédie Britannica

 

Aujourd'hui, cette nouvelle technologie unique de traitement de l'eau mise en œuvre pour purifier et filtrer l'eau des astronautes de la Station spatiale internationale peut aider à fournir de l'eau propre à des millions de personnes dans le monde. Dines Thornberg, directeur de l'innovation de BIOFOS (le plus grand service public d'assainissement des eaux usées du Danemark), estime que cette nouvelle technologie a un grand potentiel :

    "Je pense que [la technologie des aquaporines] pourrait ouvrir la voie à la création d'eau potable propre et abordable à partir des eaux usées à l'avenir. Je suis vraiment optimiste quant au fait que nous pouvons relever les défis de la pénurie d'eau dans de nombreuses régions du monde avec des technologies comme celle-ci" - Thornberg dans Moreno (2020). "

Sources

Apical plasma membrane. Oxford Reference. (2021). Retrieved October 2, 2021, from https://www.oxfordreference.com/view/10.1093/oi/authority.2011080309541….

CDC. (2020, May 27). Global water, sanitation, & Hygiene (WASH). Centers for Disease Control and Prevention. https://www.cdc.gov/healthywater/global/index.html.

CDC. (2021, April 1). Global WASH Fast Facts. Centers for Disease Control and Prevention. https://www.cdc.gov/healthywater/global/wash_statistics.html.

DiCicco, M. (2020, April 22). Space-Age Water Conservation. NASA. https://spinoff.nasa.gov/page/space-age-water-conservation-nasa.

Hossain, F. (2019). Aquaporin. Aquaporin - an overview | Water. Retrieved October 4, 2021, from https://www.sciencedirect.com/topics/engineering/aquaporin.

Litwack, G. (2020). Aquaporin. Aquaporin - an overview | ScienceDirect Topics. Retrieved September 11, 2021, from https://www.sciencedirect.com/topics/medicine-and-dentistry/aquaporin.

Johnson, M. (2019, March 7). More efficient water Filtration tech in space and on earth. NASA. https://www.nasa.gov/mission_pages/station/research/news/b4h-3rd/it-wat….

Moreno, A. (2020, December 15). A filter made for astronaut urine could soon be providing drinking water on Earth. CNN. https://www.cnn.com/2020/12/15/tech/space-tech-aquaporin-filter-spc-int….

NASA. (2019). Membranes Mimic Kidneys to Filter Water. NASA. https://spinoff.nasa.gov/Spinoff2019/ps_5.html.

Perry, M., Madsen, S. U., Jørgensen, T., Braekevelt, S., Lauritzen, K., & Hélix-Nielsen, C. (2015, November 5). Challenges in commercializing biomimetic membranes. Membranes. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4704006/.

United Nations. (2021). Goal 6 | Department of economic and social affairs. United Nations. https://sdgs.un.org/goals/goal6.

Xie, W., He, F., Wang, B., Chung, T.-S., Jeyaseelan, K., Armugam, A., & Tong, Y. W. (2013, April 19). An aquaporin-based vesicle-embedded polymeric membrane for low energy water filtration. Journal of Materials Chemistry A. https://pubs.rsc.org/en/content/articlelanding/2013/ta/c3ta10731k/unaut….