Merci à Maria Nagui d'avoir traduit cet article volontairement.
Lorsque nous pensons aux techniques géospatiales, plusieurs d’entre nous imaginent des satellites d'observation de la Terre et de navigation, des drones et des capteurs complexes utilisés pour la collection d’informations de la surface terrestre. Nous pensons également que la plupart des personnes qui sont capables de développer des applications utilisant des donnés géospatiales, doivent avoir un master ou un doctorat en sciences. La déclaration susmentionnée est très éloignée de la vérité. Les progrès technologiques ont rendu l’accès à la technique géospatiale possible pour tout le monde.
De nos jours, il est possible d’accéder aux systèmes de navigation par les satellites à l’aide de nos téléphones portables. De plus, nous pouvons utiliser les images des satellites à l’aide de « My Maps » ou « Google Earth ». En outre, les cartes collaboratives sont plus courantes de nos jours (Open Street Map, par exemple). Il y a beaucoup d’exemples qui montrent comment la technique géospatiale est devenue plus accessible et plus facile à utiliser pour tout le monde. Dans cet article, vous allez découvrir comment la technique géospatiale aide les femmes rurales au Costa Rica à améliorer la gestion de l’eau dans leurs communautés locales.
L'écart entre les hommes et les femmes dans la gestion de l'eau
Au Costa Rica, 92.4% de la population a accès à l’eau potable (Alvarado & Barquero, 2023). Ces chiffres placent le pays parmi les premiers rangs de la région latinoaméricaine. Cependant, cette réalisation n’est pas partagée par tout le monde dans le pays, vu que 350 000 personnes sont toujours confrontées à des difficultés pour accéder à l’eau potable (Nations Unies, 2020). Les endroits affectés par la variabilité climatique souffrent d’un manque d’eau pendant la saison sèche (Wong-Parodi & Babcock, 2020). Cette situation affecte notamment les personnes vulnérables, ce qui inclut les enfants, les femmes, les personnes âgées et les personnes avec handicap qui ne peuvent pas subvenir à leurs besoins de base et à ceux de leur famille. De plus, la variabilité climatique a un impact sur la productivité comme l’agriculture, et l’élevage dans les zones rurales.
En outre, les femmes rurales sont confrontées à des inégalités dans les opportunités à l’opposition des hommes ruraux. D’après la publication de la banque américaine du développement « Best Jobs Index », le Costa Rica est le pays avec le deuxième écart le plus élevé en ce qui concerne l’accès quantitatif et qualitatif au travail. La situation est plus critique dans les campagnes où la part des femmes dans la population active n’atteignait que 13.3% en 2017. Les femmes ont également accès limité à la terre. De plus les fermes enregistrées par des particuliers, 84.4% sont détenues et exploitées par des hommes, quant aux femmes, elles ne dirigent que 15.5%. Par ailleurs sur les 24064.188 kilomètres carrés dédiés aux cultures au Costa Rica, seuls 4.4% des terres sont gérées par des femmes. (INEC 2017)
Les femmes rurales jouent un rôle significatif dans l’agriculture et la gestion de l’eau. Elles soutiennent et dirigent des activités liées à l’eau et la conservation de la terre, à la collecte des eaux de pluie et à la gestion des bassins versants. Même si les femmes dépendent des ressources naturelles, elles ont moins d’accès et de contrôle sur elles. Généralement, les hommes donnent un usage commercial à la terre, à l’eau, aux plantes et aux animaux qui est généralement mieux valorisé que les usages domestiques que les femmes fournissent en utilisant les mêmes ressources (Jong, 2013).
Les associations administratives des systèmes d'aqueducs et d'égout communautaires (ASADA par son sigle en espagnol) gèrent, entretiennent et développent les systèmes d'aqueducs et d'égout dans les communautés où ni le gouvernement local (municipalités) ni le gouvernement central ne fournissent des services d'eau potable et d'assainissement (Direction d’Agua, s.d.). Le règlement de l'ASADA indique que pour en faire partie, les particuliers doivent être propriétaires fonciers. Cette situation affecte particulièrement les femmes car légalement, elles possèdent moins de terres que les hommes (AYA, 2019).
"Il est généralement perçu que l'écart entre les sexes dans la gestion des ressources en eau découle de la division du travail entre les sexes et des normes de genre dans la société, qui attribuent de nombreuses responsabilités liées à l'eau aux femmes tout en conférant la plupart des pouvoirs et des droits liés à l'eau aux hommes.'' ( Ndey-Isatou Njie & Tacko Ndiaye, n.d.)
La technique est la clé de l'avenir et impliquer les femmes dans la technique peut aider à réduire l'écart actuel entre le genre, la géographie et l'économie. De plus, la technique est une excellente alliée dans la recherche de solutions pour améliorer la gestion de l'eau. La technique spatiale a évolué à un point tel que certaines applications se sont démocratisées pour être utilisées par tous, par exemple les systèmes de navigation et l'accès aux images satellites, etc.
Méthodologie : La technologie spatiale comme outil permettant aux femmes d'améliorer la gestion de l'eau
Le « Women Rally of Geospatial Technology » est un processus éducatif développé par le Département de géographie de l'Université du Costa Rica. Ce programme vise à familiariser les femmes des régions rurales avec la technologie spatiale grâce à des applications qui fonctionnent sur leurs téléphones portables et leurs ordinateurs. Les applications doivent répondre à deux exigences : 1. Facile à utiliser, et 2. Pas de besoin d’accès à Internet pour collecter des informations sur le terrain. Ces exigences sont essentielles car, dans de nombreuses zones rurales, l'accès à Internet est limité. De plus, le programme vise à aider tous ses participantes à trouver des solutions qui peuvent améliorer la gestion de l'eau dans leurs communautés.
Les domaines d'intervention thématique du programme sont liés au changement climatique, à la réduction des risques de catastrophes, à la gestion de l'environnement et à l'agriculture. La gestion de l'eau est le terrain d'entente de tous les sujets. Au cours du programme, les participantes découvrent les drones, les systèmes de navigation, la collecte de données sur le terrain grâce à des outils géospatiaux et des géo-visualeurs ou des logiciels de visualisation de cartes.
La Configuration de l'équipe « Women Geospatial Rally »
Chaque équipe participant à ce rallye géospatial était composée de membres ayant les rôles suivants:
- Étudiants avancés à l'École de Géographie en charge du coaching individuel.
- Un coordinateur de l'activité.
- Professeurs invités qui ont donné des conférences thématiques.
- Un invité spécial qui a donné des conférences de motivation.
- Des juges qui ont fourni des commentaires sur les prototypes
- Organisations de coopération internationale qui ont fourni un soutien financier.
Les étudiants en géographie suivent la progression des participants et les aident à comprendre et à appliquer les outils appris lors de l'activité. Plus important encore, ils coachent les participantes individuellement pour garantir des résultats réussis pour leurs prototypes. Ce coaching va au-delà des seuls niveaux professionnels et techniques. Il découle d'un lien d'amitié car la sororité est encouragée.
Le coordinateur est responsable des tâches administratives telles que l'obtention de fonds pour développer le rallye géospatial mais surtout, il ou elle crée la méthodologie et est en charge de la planification du rallye géospatial.
Les professeurs invités sont principalement des professeurs d'université ou des experts dans différents domaines thématiques. Ils donnent de brefs exposés sur leur domaine d'expertise pour donner un aperçu des différents sujets. Enfin, les participantes appliquent ces connaissances pour sélectionner l'objet de leur prototype.
Les invitées spéciales sont des femmes qui sont des leaders reconnues dans différents secteurs, non seulement dans la technologie, mais aussi dans le journalisme et le sport, pour en nommer quelques-uns. Elles donnent des conférences de motivation pour responsabiliser toutes les participantes dans leur recherche à une solution d'impact.
Les juges donnent quelques conseils sur la façon d'améliorer les prototypes, mais surtout, ils ont fourni le test final aux participantes. Toutes les participantes sont tenues de présenter leurs prototypes à un panel d'experts de haut niveau. Cette expérience finale constitue un rite de passage qui s'est avéré être une expérience enrichissante pour tous les participants.
Les applications géospatiales et les processus de développement de prototypes
Lors du rallye géospatial, les participantes pourront découvrir des applications leur permettant de collecter des données sur le terrain sans aucune connexion Internet. Les applications utilisés à cette fin sont des outils « open source » tels que « Kobo Toolbox » et « Mobile Topographer». Ces derniers sont faciles à utiliser et permettent aux gens de collecter des informations en utilisant uniquement le signal GPS de leur smartphone. La plupart des données collectées par les participantes n'avaient jamais été cartographiées auparavant et sont désormais disponibles sous forme numérique grâce à ces outils. De plus, les femmes participantes découvrent des applications qui leur permettent d'accéder aux données recueillies sur le terrain et de les visualiser sur une carte. Les applications utilisées à cette fin sont « Google My Maps » et « Google Earth Pro », et elles apprennent également à utiliser « ArcGIS Online ».
Enfin, les participantes développent un petit géo-visulateur pour leurs données qui leur permet de créer et de sauvegarder des informations sur leurs communautés et de les partager via le Web. En outre, elles peuvent améliorer le processus décisionnel pour une meilleure gestion de leurs territoires, puisque les informations qui étaient auparavant inexistantes sont disponibles sur le cloud et peuvent être visualisées sur des cartes accessibles aux communautés, aux décideurs et aux autorités gouvernementales. Cela permet une vérification croisée et un examen des données et offre une transparence dans le processus décisionnel global.
La dernière étape du processus de prototype consiste à mettre en place un « Business Model Canvas » (Osterwalder & Pigneur, 2010). Au cours du processus de formation, les participantes complètent un canevas de modèle d'entreprise simplifié dérivé de l'original développé par les organisateurs de l'atelier. Elles doivent intégrer l'un des domaines thématiques abordés dans le rallye dans le prototype d'application géospatiale. Avec ces outils, elles doivent proposer une solution à un problème spécifique de la communauté dans laquelle elles vivent.
Les résultats et les expériences du Rallye Géospatial
Après avoir reçu une formation en technologies environnementales et géospatiales, et en utilisant librement des applications Web disponibles, les participantes ont créé des prototypes liés à l'assainissement, au reboisement, à la cartographie des canalisations dans les aqueducs ruraux (ASADAS, où travaillent les femmes), à l'irrigation agricole, etc.
Valeria Mendez et Priscilla Angulo vivent à Cartago, une zone rurale qui produit la plupart des légumes et légumes verts du Costa Rica. Valeria a déclaré :
« L'eau utilisée pour irriguer les cultures provient des rivières. Mais il y a des inégalités d'accès à l'eau pour tous les agriculteurs car certains d'entre eux utilisent plus d'eau que d'habitude et donc laissent les autres avec accès limité à l'eau, ce qui affecte leur récolte. De plus, il y a une infrastructure déficiente installée, c'est pourquoi il y a des fuites d'eau. Un autre problème est lié à la programmation de l'irrigation qui n'est pas correctement mise en œuvre. Comme le temps d'arrosage n'est pas contrôlé, l'eau est gaspillée.»
Valeria et Priscilla ont proposé de développer un dispositif de contrôle de la consommation d'eau et du temps d'arrosage pour améliorer l'irrigation des cultures et l'accès à l'eau pour tous les agriculteurs utilisant la technologie géospatiale et les dispositifs électroniques. Leur dispositif prototype est une carte microcontrôleur (ARDUINO-UNO) et une électrovanne qui permet de contrôler le temps d'irrigation. De plus, ils prévoient dans un avenir proche la création d'un géo-portail qui montrera l'emplacement exact des cultures, l'emplacement des sources d'eau où les agriculteurs puisent l'eau, et enfin, le réseau. Cet outil visera à améliorer le processus décisionnel et la gestion de l'eau, notamment pour garantir le droit d'accès à l'eau et la réduction du gaspillage de l'eau.
Un autre projet a été développé par Wendy Salazar. Elle vient de Guanacaste, au Costa Rica. Elle a créé une carte de l'ASADA '' Pita Rayada ''. Elle a géoréférencé les composants de l'aqueduc (réservoirs, canalisations, etc.) à l'aide de l'application GPS qu'elle a appris à utiliser pendant le rallye. Elle a ensuite conçu une carte avec les données prises sur le terrain, à l'aide de l'application Google My Maps. Le produit final développé et remis à l'ASADA vise à être un outil de gestion pour fournir des informations précieuses à la communauté et aux décideurs en son sein. De plus, Wendy a formé tous les membres de l'ASADA à l'utilisation des technologies géospatiales qu'elle a apprises lors des activités des rallyes.
Conclusion
Les femmes rurales jouent un rôle de premier plan dans la gestion de l'eau. Par leur rôle d'usagers et de gestionnaires de l'eau, elles sont les mieux placées pour stimuler l'innovation. Avec l'accès à la technologie, les femmes peuvent créer des solutions bien adaptées à leurs territoires et améliorer les processus de prise de décision.
En raison de son succès, le Rallye géospatial pour les femmes s'étend du Costa Rica à la région de l'Amérique centrale, y compris des pays comme le Guatemala, le Honduras et le Nicaragua. À ce jour, en raison de son succès, une centaine de femmes ont été formées et plus de 50 prototypes ont été développés au cours des activités.
Nous croyons en l'importance d'autonomiser les femmes dans l'utilisation et le développement des technologies pour trouver des solutions à l'échelle locale. De telles solutions doivent être menées par les personnes qui vivent dans les zones touchées telles que celles confrontées à des problèmes liés à la gestion de l'eau, au changement climatique et aux catastrophes. Ces personnes connaissent leur propre réalité et lorsqu'elles comprennent l'utilisation et le potentiel de la technologie géospatiale, elles peuvent identifier la meilleure façon de l'utiliser sur leurs territoires.
Dirección De Agua. (n.d.). Retrieved September 12, 2021, from http://www.da.go.cr/asadas/
INEC. (2017). CENAGRO 2014. Una visión del sector agropecuario basada en el CENAGRO 2014. Simposio. | INSTITUTO NACIONAL DE ESTADISTICA Y CENSOS. https://www.inec.cr/documento/cenagro-2014-una-vision-del-sector-agrope…
Jong, E. de. (2013). Pasaporte para integrar el género en los programas de agua: Preguntas clave para las intervenciones en el sector agrícola. FAO.
Ndey-Isatou Njie, T. N. (n.d.). Women and Agricultural Water Resource Management. United Nations; United Nations. Retrieved September 12, 2021, from https://www.un.org/en/chronicle/article/women-and-agricultural-water-re…
Osterwalder, A., & Pigneur, Y. (2010). Business model generation: A handbook for visionaries, game changers, and challengers.
United Nations. (2020). Agua que da vida a la igualdad | Naciones Unidas en Costa Rica. Retrieved May 19, 2021, from https://costarica.un.org/es/34761-agua-que-da-vida-la-igualdad
Wong-Parodi, G., & Babcock, M. (2020). Scientific forecast use and factors of influence in water-constrained contexts: The case of Guanacaste, Costa Rica. Climate Services, 18, 100169. https://doi.org/10.1016/j.cliser.2020.100169